Air à P8

Introduction au débat Recherche pour le 29 février

vendredi 17 février 2012, par airap8

Suite au débat recherche du 29 février

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Introduction au débat : Parallèlement à la LRU, des changements politiques ont transformé radicalement le paysage de la recherche universitaire depuis une dizaine d’années. Ils ont affecté l’ensemble des logiques et dynamiques de la recherche : la construction de ses objets, de ses structures, de ses financements. Les universitaires en sont à la fois les victimes et les acteurs. Il est important d’assumer une démarche critique, qui puisse porter des propositions alternatives qui dépassent le cadre de notre université, et en même temps d’élaborer une stratégie qui combine nos propres objectifs de recherche avec le « jeu » institutionnel dont font partie tous les dérivés de la politique d’excellence. C’est pour partie l’enjeu du débat que nous souhaitons animer à l’occasion de notre réunion du 29 février. Il est temps de réagir pour que les universitaires soient une force de propositions, et non de simples agents de mise en œuvre de ces changements

-  Le financement de la recherche modifie la nature même des recherches On peut évoquer ici le basculement que représente la politique ministérielle qui est passé brutalement d’une logique de financements récurrents et donc d’une logique d’équipe - qui permettait de développer des recherches dans la durée et dans leur spécificité - à une logique presque systématique de financement sur projets par appels d’offre, que ces appels soient locaux, régionaux, nationaux ou européens. Le risque encouru est de conduire à une sélection des objets de recherche par les enseignants- chercheurs en fonction non plus des intérêts scientifiques de ces objets mais de leur « attractivité » en termes de financements, de leur rentabilité éventuelle, de leur « utilité »immédiate susceptible de « retour sur investissement ». Le danger est celui d’une uniformisation des recherches et de leur précarisation puisque sur des financements de relativement courte durée, particulièrement peu adaptés dans le cadre des sciences sociales. Cette logique s’accompagne évidemment du temps considérable que nécessite la préparation des réponses aux appels à projet, autant de temps pris sur celui de la recherche. Ce basculement du point de vue des modalités de financements atteint les doctorants qui peuvent être amenés à devoir réduire les ambitions et les originalités des savoirs construits lors de leurs recherches doctorales. Ce risque est renforcé par l’obligation de plus en plus prégnante qui est faite de ne plus inscrire que les doctorants financés. Dès lors, la recherche se fait à plusieurs échelles et à divers formats en simultané, ceci peut induire des conduites de recherche court-termistes, normativisantes. Les contraintes budgétaires aidant, le développement de ces modalités de financement met en péril les financements récurrents. De plus, toutes les disciplines n’entrent pas dans ces formats de recherche et les temporalités courtes ne favorisent pas les recherches en SHS. Il ne s’agit évidemment pas de rejeter les appels à projets qui permettent aussi de maintenir la spécificité des objets de recherche de certains de nos collègues, de permettre une innovation et la diversité scientifique (grâce à des programmes blancs locaux ou nationaux), mais d’assurer et de maintenir un équilibre entre les deux types de financement de la recherche.
-  On peut encore noter que, au-delà du temps déjà consacré à la « gestion » de la réponse aux appels d’offre, s’ajoutent les contraintes de gestion et d’administration de la recherche, la comptabilité analytique qui s’installe peu à peu, la mise en regard immédiate des financements et des résultats (contraintes de la LOLF) qui sont autant de formatage de la recherche qui ont un coût temporel important pour les chercheurs, les directeurs d’équipe, l’administration de la recherche. Dans certains domaines, les conditions de la recherche ne cessent donc de se dégrader parallèlement à la constitution des pôles d’excellence, il est nécessaire de rendre aux chercheurs le temps de faire de la recherche. -

-  - La politique d’excellence

Ce rééquilibrage entre les types de financement semble d’autant plus nécessaire qu’a été instituée une politique dite d’excellence qui accélère les processus de remodelage de la recherche que nous venons d’évoquer et conduit même à des restructurations profondes des institutions universitaires. La critique de la politique des Investissements d’avenir (la Polex) et celle de ses effets pervers n’est plus à faire. Rappelons seulement qu’il s’agit de créer quelques pôles « d’excellence », les Labex et surtout les Idex, identifiés et identifiables comme LES grands pôles universitaires, mais risquant d’effacer, ou au moins de minorer, du paysage universitaire ce qui n’a pas été ainsi labellisé. Dans le même temps, il est peu viable, même (surtout ?) pour une université comme la nôtre, de faire l’impasse sur les financements et les possibilités de partenariats que représentent ces appels à projets, sur la valorisation de notre recherche et de son dynamisme, à travers eux. Porter cette contradiction entre un discours critique à l’encontre de procédures que nous récusons et le fait de pouvoir y recourir rend nécessaire que la qualité des recherches de Paris 8 reste aussi visible et reconnue à travers ces appels. Il est tout autant nécessaire que l’université assure à l’interne une circulation des recherches, et là encore un juste équilibre entre les équipes en "redistribuant" visibilité et ressources aux différentes équipes, fédérant les projets d’équipes plutôt que de mettre celles-ci en concurrence.

L’évaluation des enseignants chercheurs et des équipes

-  La création de l’AERES et l’apparition de critères qualitatifs et quantitatifs auront marqué l’apparition d’une politique systématique d’évaluation, dont la pertinence a été très discutable. Ce faisant ils induisent souvent une reconfiguration des champs de recherche lorsque les critères d’évaluation deviennent des objectifs de recherche. Nous pouvons tout de même constater que certaines mobilisations ont payé.

-  Certes, l’expérience de l’évaluation de 2008 a laissé à beaucoup d’entre nous un goût amer. N’oublions pas que Paris 8 a été la première université à être évaluée en 2008 et depuis, les protestations de la communauté scientifique et des CNU ont tout de même permis que s’amorce une meilleure adéquation entre les logiques de l’AERES et les travaux de SHS. Ce qui est important aujourd’hui, l’AERES étant maintenant une institution d’évaluation qui fait partie du « paysage » universitaire, c’est d’en connaître le fonctionnement et les critères actuels. C’est sur la base d’une approche critique des travaux de cette instance d’une part, et d’une élaboration de nos propres critères d’autre part que l’université sera à même de défendre ses spécificités et la qualité de ses recherches, en particulier de veiller lors des prochaines évaluations à la reconnaissance des travaux comme des équipes interdisciplinaires.
-  L’un des enjeux du débat est donc bien de réfléchir sur notre façon de produire nos propres propositions davantage en adéquation avec nos productions scientifiques et sur la façon de les porter collectivement. Il s’agit d’assurer une capacité d’autoévaluation locale qui facilite l’argumentation et permette de défendre des positions. Dans ce contexte, quelle est l’expérience de P8 : Depuis quatre ans, l’université a très considérablement accru le financement de la recherche et des manifestations diverses initiées par les collègues dans ce domaine. Elle vient d’attribuer un encadrement administratif absolument nécessaire aux équipes qui en étaient dépourvues. Elle a réorganisé ses services financiers et l’organisation comptable de la recherche. Mais sans doute faudra-t-il prévoir de continuer à renforcer ses services en direction des chercheurs. Elle a soutenu une dynamique de recherche interdisciplinaire en créant des pôles de recherche sur la Méditerranée et la ville contemporaine, pôles qui fédèrent et structurent de nombreuses recherches financées sur appel à projets thématiques et ont permis à Paris 8 de rendre visibles et de dynamiser une partie de ses spécificités, en lançant un appel d’offre pour les recherches interdisciplinaires et innovantes, le PARI, mais aussi en soutenant le Labex auquel participe presque la moitié des équipes de Paris 8. Cependant, il reste beaucoup à faire non seulement pour contrecarrer les effets potentiellement dévastateurs de la mise en concurrence des équipes, des chercheurs, des universités mais aussi pour construire des modes de fonctionnement qui permettent à la recherche de se développer malgré les difficultés de plus en plus grandes. Les chantiers et réponses à apporter dans le prochain quinquennat sont nombreux Il s’agit d’être maître de l’élaboration d’une véritable politique scientifique construite collectivement qui permette de se donner des priorités, de faire des choix significatifs y compris dans les relations internationales de recherche et de formation appuyée à la recherche, de fonder les arbitrages qui seront sans nul doute nécessaires. Ainsi, l’un des enjeux majeurs, y compris si l’on souhaite contrecarrer les effets d’une politique qui s’impose à l’université, est donc bien celui d’élaborer des orientations qui peuvent fonder des critères à partir desquels les décisions et arbitrages seront justifiables aux yeux de la communauté universitaire.
-  Dans le domaine plus individuel de l’évaluation des enseignants chercheurs à des fins d’attribution de la PES (prime d’excellence scientifique), il s’agit d’obtenir le maintien d’une instance nationale d’évaluation des enseignants chercheurs pour éviter l’évaluation locale des collègues par les collègues locaux et les conséquences néfastes que l’on imagine aisément. Il ne s’agit évidemment pas de demander la reconduction des commissions d’experts ministérielles, mais d’obtenir que la tâche soit confiée à une instance nationale.

Dans le domaine du soutien financier aux recherches
-  Il s’agit de financer les recherches de nos collègues, en particulier lorsqu’elles sont spécifiques à notre université et de garantir notre indépendance intellectuelle et les priorités que nous choisissons, même lorsqu’elles ne sont pas en cohérence avec celles de la SNRI (stratégie nationale de recherche et d’innovation), qui définit les thèmes de recherche nationalement prioritaires dont il ne s’agit pas de contester systématiquement le bien fondé mais de veiller à ce qu’elle n’empêche pas les recherches différentes de se poursuivre.

-  Il s’agit de continuer à favoriser l’interdisciplinarité et l’innovation tout en veillant à ce que ces choix ne pénalisent ni les individus, ni les équipes lors des évaluations institutionnelles.

-  Même si le financement sur projets ne peut pas être l’objectif dominant de la recherche, afin de permettre de faire face aux contraintes actuelles, il est nécessaire de continuer à développer et améliorer les services de la valorisation et les services financiers, devenus indispensables et déjà plus que chargés aujourd’hui du fait de l’accroissement de la recherche sur contrats, appels d’offre, conventionnements. Il convient de donner les appuis techniques indispensables permettant aux enseignants chercheurs d’être mieux à même de monter des dossiers de réponses à des appels d’offre. Une cellule d’aide à la recherche de contrats comme aux montages de projets, par exemple européens, est sans doute aujourd’hui une nécessité.
-  S’il est encore nécessaire de favoriser le développement du Labex qui est dorénavant une structure de recherche à part entière pour l’université, pertinente pour son interdisciplinarité et la mise en œuvre d’un partenariat diversifié, il s’agit de mettre son apport en perspective, de l’articuler au mieux aux recherches plus directement disciplinaires mises en œuvre dans les équipes, qu’elles soient ou non partenaires du Labex.

-  Comment peut-on agir pour que cette articulation entre Labex et autres laboratoires évite des phénomènes de polarisation exclusive en faveur du premier et de décentrement pour les autres ? Aucune de ces structures n’a pour nous a priori le monopole de la qualité et de l’innovation des recherches. Il est donc nécessaire d’aider tout laboratoire dans son projet, son partenariat, son fonctionnement. Il est également important de permettre une visibilité au sein de l’université de la gestion du Labex comme des recherches qui s’y font. Il est en effet nécessaire d’éviter les logiques de concurrence entre les équipes de notre université comme entre les équipes de recherche des universités d’une façon générale. Une réflexion sur ce point devra donc s’engager.

Compte tenu de ce qui a été développé précédemment, le moment est venu d’entamer une réflexion collective sur les formats pertinents de financements de la recherche assurés par Paris 8. Les collègues ont répondu très nombreux aux appels d’offre internes (PARI, BQR, Pôles), mais sans doute est-il nécessaire d’envisager des financements pluriannuels, en tout état de cause de penser ensemble ces différentes sources de financement dans leur cohérence et leur utilité scientifiques.

Il est également important afin de sortir d’une logique de concurrence non seulement entre équipes mais aussi entre université de favoriser dans ces appels internes la collaboration entre équipes de différentes universités.

Un autre élément d’importance concernant l’amélioration nécessaire et urgente des conditions de travail des enseignants chercheurs est celle des locaux. Si la Maison de la recherche est maintenant en voie de réalisation, installer les équipes dans des périmètres qui permettent le travail collectif, les échanges, le travail sur l’université est une nécessité.

Transparence et collégialité

Il s’agit à travers ces propositions et cette invitation à débattre de dégager les moyens d’être maître de l’élaboration d’une véritable politique scientifique construite collectivement qui permette de se donner des priorités, de faire des choix significatifs y compris dans les relations internationales de recherche et de formations appuyées à la recherche. En toutes circonstances, les décisions concernant la recherche, sa politique et ses financements devront faire l’objet d’une vigilance démocratique et d’une transparence accrue.

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